Le baptême par Jean-Baptiste fut le commencement de la vie « publique » de Jésus. Jean-Baptiste fut considéré par Jésus, selon l’évangéliste Jean, comme le plus grand prophète du premier Testament.
La vie lumineuse de Jésus se grava de façon indélébile, dans l’esprit des disciples après la passion, la mort et la résurrection. Le compagnonnage d’un tel homme (le centurion dit : voici l’homme !) laissa aux disciples un souvenir qui, différent dans le cœur de chacun d’eux, ne manqua pas de cohérence commune. Les évangélistes écrivirent cette mémoire vivante et vivifiante pour nous, et les 4 évangiles devinrent le socle de ce que saint Augustin nomme, d’un joli concept, une mémoire d’avenir. Une mémoire d’avenir rayonnante qui accompagne les chrétiens depuis 2000 ans. Les évangélistes racontèrent la vie, la mort et la résurrection comme si c’était la signature par Dieu de la victoire du messie sur un destin fatal de mort et de haine. Un avenir de fraternité filiale s’ouvrait au cœur de l’histoire humaine et même au-delà de l’histoire. Mémoire d’avenir, qui ouvre l’avenir : cela s’appelle aussi espérance créatrice : création de demain et d’après-demain.
Cette mémoire d’avenir fut lumière intelligente fidèle à l’esprit de Jésus pour créer l’histoire de l’Église racontée par Luc dans les Actes des Apôtres. La vertu d’espérance et la grâce de charité joyeuse des premières communautés chrétiennes furent contagieuses. Cette mémoire d’avenir connut, après quelques années ou décennies, un retournement génial : de mémoire d’avenir elle se fit mémoire d’origine chez chaque évangéliste.
Saint Matthieu, misa sur l’origine historique du peuple juif : il décrypta l’origine de Jésus et mit en lumière ses racines abrahamiques et davidiques. Saint Luc, davantage ouvert à la culture grecque traça une autre mémoire. Il la fit remonter jusqu’à Adam ; ce faisant, Saint Luc rejoignait saint Paul qui avait fait de Jésus un nouvel Adam à portée universelle. Saint Marc, quant à lui, fit plus court et plus fort : les premiers mots de son évangile sont les suivants : évangile de Jésus-Christ, fils de Dieu. La mémoire d’origine chez lui remonte à Dieu. Nul ne put remonter à une origine plus forte et plus radicale de Jésus que St Marc.
La grande fresque que saint Jean dessine dans le Prologue déploie, oserais-je dire, les ailes de cette formule : fils de Dieu. La mémoire d’origine du Messie, selon saint Jean, remonte comme selon saint Marc à Dieu Lui-même. Cependant le prologue signe une peinture singulière de Dieu. Ce Dieu que nul œil n’a vu : il nous le peint comme un Dieu non absolu mais relationnel. Relationnel en lui-même, agapè. En lui-même, le Père est dialogue éternel avec le Verbe, qu’il nomme Fils et avec un souffle partageable qu’il nomme Esprit… Ce dernier, déjà présent lors de la création, a soufflé dans et par les prophètes et maintenant, il est partagé, à la Pentecôte, entre toutes celles et ceux qui s’ouvrent librement à Lui.
Car, écrit saint Jean, un jour, le Verbe s’est fait chair. Oui, l’un de la Trinité s’est fait homme, disent les pères de l’église.
Quelle dut être la surprise, en Dieu, lorsqu’on ne vit plus le Verbe au ciel ? le Fils aurait-il fait une fugue ? Et sur la terre, quel événement pour les humains ! Les anges et les bergers n’en reviennent pas encore.
Une première dans l’histoire des greffes : l’humain pouvait être greffé sur les relations trinitaires s’il y consentait librement… et Dieu Verbe pouvait être greffé et s’unir à un humain.
Le prologue de l’évangile de Jean est un diamant brillant d’intelligence de la révélation pour une deuxième raison géniale. Il ose exprimer la bonne nouvelle dans un langage frémissant d’intelligence créatrice car il ose fiancer, voire marier, le Dabar : la parole en langue hébraïque avec …le Logos : la parole en langue grecque. Il propose un baiser d’amour divin entre deux grandes traditions de recherche de la vérité. Deux postures appelées à vivre de concert dans l’histoire de notre Eglise :
a) Un rapport grec à la vérité dessine un chemin dont la direction contraire conduirait à l’erreur.
b) Un rapport juif à la vérité indique un chemin relationnel dont la direction contraire serait le mensonge meurtrier.
Pour le dire autrement, une tension entre deux chemins vers la vérité surgit :
a) la vérité savoir vérifiable grâce à des expériences falsifiables au cœur du réel …Un chemin de vérité … « preuve ».
b) et la vérité éveil, réveil, nouvelle naissance : étranges ces mots qui désignent chez les premiers chrétiens la réalité de la relation ressuscitée et ressuscitante, par-delà les blessures, mêmes mortelles, auxquelles conduisent le mensonge et l’assassinat injuste. Ce sont les mêmes mots qui désignent, chez les bouddhistes, l’expérience fondatrice de la vie spirituelle selon Bouddha. Ici, non vérité-savoir, prouvée mais vérité attestée.
Pour le dire à partir de ma petite perception : des fiançailles entre la vérité véhiculée dans une culture (grecque) dominée par l’intelligence du voir ; un voir qui maîtrise et admire la vérité véhiculée dans une culture juive animée par une écoute ; l’écoute d’une voix qui appelle ou enjoint la volonté à devenir filiale et fraternelle ; voix qui a des résonnances, lorsqu’elle est entendue, jusque dans les entrailles.
Où, mieux que dans une université de tradition chrétienne, l'alliance entre ces deux types de recherche-vérité peut-elle, doit-elle être cultivée et honorée ?
Mais revenons à la fin du texte du prologue.
Subsisterait, selon Jean, une ombre… Si la greffe de Dieu avec l’homme a réussi en Jésus, il semblerait qu’une ombre se soit glissée dans la fresque. Destinée, à l’origine, à toutes et tous, la greffe du divin et de l’humain semblerait, à saint Jean, n’avoir pas tout à fait pris. Saint Jean fait écho à un certain phénomène de rejet : il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas reçu. Mais, ajoute-t-il, honorant l’indispensable liberté : à ceux qui l’ont reçu, il a donné de devenir enfants de Dieu.
Emmanuel Levinas, penseur juif, me faisait remarquer qu’il était, pour lui, difficile d’entendre que le Messie était déjà venu. Pour lui, il ne pouvait être venu tant qu’une souffrance, due à un massacre injuste d’innocents, faisait encore couler une larme sur terre. Peut-on vraiment confesser la foi chrétienne ? Confesser que Jésus est Christ Messie tant qu’il existe des massacres d’innocents, me demanda-t-il, lui qui avait connu, en tant que Juif, le génocide de 40-45.
La première greffe du divin avec l’humain avait été tentée sous Moïse par le don de la loi qui aurait déjà dû changer le cœur de l’homme grâce au double commandement de l’amour de Dieu et de l’homme, et voici que la deuxième greffe où auraient été ajoutées grâce et vérité souffrirait toujours d’une ombre énigmatique… L’ombre du mal subsistant légitime, à mes yeux, la question de Levinas. Le slogan selon lequel l’homme est un loup pour l’homme, est-il vraiment derrière nous ? La mort et la haine, déclarées vaincues, ont-elles vraiment dit leur dernier mot ?
Dans son évangile, saint Jean nous dit sous forme d’invitation : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. La nouvelle greffe ne sera crédible que si nous nous aimons les uns les autres, comme le Christ nous a aimés. Tout se passe, comme si, dans cette histoire de greffes, Dieu n’en finissait pas de solliciter des donneurs et donneuses christiques pour continuer l’œuvre du Messie et la rendre crédible chaque jour en prenant soin du souffrant, du pauvre ou de l’exclu jusqu’à ce que le Messie revienne vers nous. C’était l’espérance des premiers chrétiens. Veillons, réveillons-nous, revêtons-nous de bien-veillance et prenons part au « take care » de la solidarité fraternelle qui demeure un programme d’urgence messianique et qui n’exige nul souci de savoir si ceux et celles qui y collaborent croient au ciel ou n’y croient pas.
Par son Verbe et son Esprit, Dieu semble solliciter d’autres « oui » aussi simples et aussi nets que le « oui » de Marie. Des témoins de la fraternité existent à nos portes. Ouvrons les yeux et les oreilles pour voir et entendre le Christ vivant dans les rues du quartier nord de Bruxelles et les couloirs de l’université et rejoignons-le aujourd’hui comme nous y invite l‘œuvre du peintre Rouault intitulée « Et le Verbe s’est fait chair » et comme va nous y inviter le témoignage de Lize de Bie, aumônière à la clinique saint Jean, que nous allons entendre. Toutes ces œuvres artistiques ou soignantes donnent à penser que le Verbe se fait encore chair dans des expériences de joie solidaire, de fraternité filiale. Merci à vous toutes et tous et bonne fête de Noël.
José Reding, théologien
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